Prologue

1er septembre 1891

Cette haute silhouette aux cheveux noirs. Cette voix. Ce prénom bien particulier. Aucun doute possible. Le désespoir menace de m’ébranler. Je pense à lui pour la première fois depuis un temps incalculable et il apparait devant moi. Cela est déjà arrivé par le passé. Comme si une connexion inconsciente nous ramenait encore et encore l’un à l’autre.

Je suis plantée au milieu de l’estrade, incapable du moindre mouvement, comme sonnée. Matilda Weasley, la directrice adjointe de l’école, me fait signe d’approcher, prenant peut-être mon trouble pour de la timidité. J’avance à regret, forcée de faire bonne figure malgré les circonstances.

- Aesop, voici notre nouvelle recrue au poste de professeur de soins aux créatures magiques, Isis Shettle. Isis, je vous présente notre professeur de potions, Aesop Sharp.

Lorsque son regard se pose sur moi, sa surprise ne fait aucun doute. Ce face à face imprévu atteint très vite l’intensité d’un début de tempête. Le souffle de notre rancune pourrait faire ployer les contreforts de mon cœur en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Mon esprit tourmenté doit faire un immense effort pour accepter l’impensable. Nous sommes à présent collègues. Il y a quelques minutes à peine, je me sentais sereine et traversée de doux souvenirs joyeux. Maintenant, me voilà perdue et ensevelie sous une montagne d’émotions anxiogènes.

- Tout va bien ? demande Matilda.

Le malaise doit être flagrant.

- Nous étions élèves ici à la même époque, dit Esope sans me quitter du regard.

- Des retrouvailles inattendues ! dit la directrice adjointe avec bienveillance. Poudlard est toujours un lieu riche en émotions.

L’équipe pédagogique s’installe autour d’une grande table, la réunion va commencer. Je m’enfuis vers ma place pour ne pas laisser à Aesop l’occasion de me dire quoi que ce soit. Une fois assise, je ne tiens pas longtemps. Je lui jette un coup d’œil, le plus discrètement possible.

Je constate les années qui nous ont séparées. Sa démarche est claudicante. Une cicatrice orne son visage et traverse son œil droit jusqu’à sa bouche. Je ne pensais pas qu’il avait eu de telles séquelles. Son regard autrefois malicieux est assombri par la tristesse et la sévérité. Ses lèvres sont pincées, sans trace de son sourire espiègle.

Affligée, je me détourne avant qu’il ne me remarque. Il faut reprendre contenance, malgré l’air irrespirable. Tout ce que nous avons traversé s’insinue en moi par vagues.

Je compte depuis combien de temps je n’ai pas vu ce regard aux yeux noirs. Quinze ans. Nous n’en avions que seize lors de notre première rencontre.